Le vaste chantier consacré à la révision de la loi sur la bioéthique de 2004 bat son plein en France, même si la « phase citoyenne » touche à son terme. De nombreuses rencontres, incluant tous ceux qui le souhaitaient, se sont en effet succédées en province (Marseille, Strasbourg, etc...), pour aboutir ce 23 juin à un grand colloque parisien. Suite à ces exceptionnels états généraux, nos parlementaires seront chargés d’adopter en 2010 une nouvelle loi bioéthique. L’enjeu est de taille : jamais la science n’a pu aller aussi loin dans la « production d’un homme parfait ».
Les évêques français, bien décidés de se faire entendre, participent encore activement à ces débats. Ils ont commencé par la publication d’un excellent ouvrage dès février 2009 : Bioéthique, propos pour un dialogue, sous la direction de Mgr d’Ornellas, DDB/Lethielleux, 153 p., 14 €.
Leur but est de favoriser un dialogue constructif avec les scientifiques et les parlementaires, afin que la dignité de tout être humain soit protégée. Car, la vraie valeur de la science se mesure à son respect inconditionnel de la dignité humaine. Le livre s’organise en chapitres précis et concis traitant chacun des sept sujets qui ont été retenus dans le cadre de la révision de la loi. Il a su tenir compte des actuelles avancées scientifiques et des rapports remis aux parlementaires ou au gouvernement. Le livre comprend enfin de bonnes synthèses (certes parfois un peu difficiles pour les non spécialistes) et un index thématique. En lien avec cet ouvrage, le blog www.bioethique.catholique.fr a été lancé à la même date, donnant au plus grand nombre la possibilité de s’informer, de se former et de dialoguer.
Dans le but d’approfondir cet important sujet, il convient de préconiser la lecture des remarquables ouvrages publiés par l’Académie pontificale pour la vie. Cette Académie, fondée par le pape Jean-Paul II en 1994, siège au Vatican. Sa mission est « d’étudier, d’informer et de former » au sujet des « principaux problèmes biomédicaux et juridiques relatifs à la promotion et à la défense de la vie, surtout dans le rapport qu’ils ont avec la morale chrétienne et les directives du magistère de l’Église ». Le Professeur Lejeune en fut le premier président, l’actuel en est Mgr Fisichella. Chaque année, l’Académie propose, dans le cadre de son assemblée générale, un congrès sur un thème revêtant une importance particulière en matière de recherche biomédicale ou de bioéthique. Le Saint-Père reçoit également les participants et prononce un discours sur le thème abordé.
Le dernier congrès en date fut : « Les nouvelles frontières de la génétique et le risque de l’eugénisme ». Nombreuses furent les interventions sur les risques d’un eugénisme « en toute bonne conscience ». Aussi le scientifique « doit-il toujours être conscient que tout ce qui est scientifiquement et techniquement possible n’est pas également licite », a rappelé Mgr Fisichella.
Si les actes sont encore sous presse, le discours du Saint-Père est connu : « Certes, on ne repropose pas des idéologies eugénistes et raciales, (…) mais une nouvelle mentalité s’insinue, qui tend à justifier une considération différente de la vie et de la dignité personnelle fondée sur son propre désir et sur le droit individuel. On tend donc à privilégier les capacités opératives, l’efficacité, la perfection et la beauté physique au détriment d’autres dimensions de l’existence, considérées comme non dignes. C’est ainsi qu’est affaibli le respect qui est dû à chaque être humain, même en présence d’un défaut dans son développement ou d’une maladie génétique qui pourra se manifester au cours de sa vie, et que sont pénalisés dès leur conception les enfants dont la vie est jugée comme n’étant pas digne d’être vécue. »
(Benoît XVI, à l’Assemblée plénière de l’Académie pontificale pour la vie, 21 février 2009).
Prenons un exemple : le diagnostic préimplantatoire (DPI), dont l’extension est au cœur des débats en France, consiste à rechercher certaines anomalies génétiques sur des embryons obtenus par fécondation in vitro. Les embryons non porteurs de l’anomalie sont transférés dans l’utérus et les embryons atteints sont détruits. Le DPI ne soigne donc, ni ne guérit personne : l’enfant naît indemne d’une maladie qu’il n’a jamais eu. Pire, son caractère eugénique est de plus en plus patent (cf. La trisomie est une tragédie grecque).
Début 2009, paraissaient les actes de la 14e Assemblée générale de l’Académie, d’une qualité remarquable : Au chevet de la personne qui meurt : Orientations éthiques et pratiques, Edifa - Mame, 2009, 282 p., 25 €. Certes, la question de l’euthanasie n’est actuellement pas directement soulevée en France, elle n’en demeure pas moins fondamentale.
Le congrès 2008 s’est penché sur la manière d’assumer les malades en fin de vie, alors qu’ils souffrent et font souvent l’expérience d’une très profonde solitude. « Assumer » signifie alors plus qu’un effort thérapeutique, mais un accompagnement global du patient. Il s’agit véritablement de se mettre « au chevet » de la personne qui meurt...Parmi les thèmes abordés, soulignons : La sécularisation face à la douleur, à la souffrance et à la mort ; Les développements de la médecine moderne de soutien vital : conquêtes et risques ; Proportionnalité thérapeutique et acharnement thérapeutique dans les documents du Magistère ; Interruption volontaire de la vie des nouveaux-nés ; Accompagner la personne mourante : une responsabilité à partager ; Soins palliatifs, hospices et assistance domiciliaire ; Droit à mourir ? enfin la dernière, très profonde : Communiquer avec le patient incurable, de Mgr Sgreccia, alors Président de l’Académie.
Le Pape, dans son discours, insista quant à lui sur l’aide à fournir aux familles. Alors que, pour une naissance, les parents ont des droits spécifiques, « les mêmes droits devraient être reconnus aux proches au moment de la maladie d’un parent en phase terminale ». De même la société devrait « assurer un soutien convenable aux familles qui veulent s’engager à garder à la maison, pour des périodes relativement longues, des malades touchés par des pathologies dégénératives (cancéreuses, neuro-dégénératives, etc.) ou qui ont besoin d’une assistance particulièrement lourde ». Cette « solidarité concrète de tous et de chacun » constitue « un des défis les plus importants de notre époque » (p. 15).
L’année précédente avait été marquée par la publication de La conscience chrétienne au service du droit à la vie (Académie pontificale pour la vie, Edifa- Mame, 2008, 237 p., 25 €).
Parmi les interventions, toutes plus passionnantes les unes que les autres, soulignons celle de Mgr Fisher sur la conception chrétienne de la conscience : une conception fondamentalement optimiste, mais qui demande à ce que la conscience soit éduquée, formée, pour éviter toute « canonisation de la subjectivité ». D’autres contributions furent beaucoup plus concrètes, notamment celle consacrée à l’objection de conscience des médecins, sages-femmes, pharmaciens, juges ou encore des enseignants (concernant, pour ces derniers, l’éducation sexuelle).
Mais en ce temps de grand débat, osons terminer par un extrait de celle de Mgr Laffitte consacré à la « tolérance idéologique », laquelle ne peut supporter l’objection de conscience. « Pourquoi ? En disant : toutes les opinions se valent, il affirme comme une règle générale ce qui n’est jamais qu’une opinion parmi d’autres, selon sa propre affirmation. Comment peut-il sortir de cette impasse ? Seulement par la violence qui revient à dire : si vous le contredites (…), vous êtes un dangereux intolérant, à combattre par tous les moyens (…). Dire, pour échapper à l’emprise totalitaire, que toutes les opinions se valent, légitimerait justement ce que l’on souhaiterait éviter. La seule réponse vraiment réaliste, au plan philosophique, est l’affirmation positive de la dignité de l’homme comme vérité valable pour tous. Elle établit la possibilité d’un vrai débat, car l’interlocuteur est dans tous les cas réputé digne, c’est-à-dire destinataire respecté de cette liberté de fond qu’on entend lui reconnaitre. Une telle attitude est authentiquement tolérante, si l’on peut dire, au sens classique, respectueuse et patiente, mais elle ne se situe pas dans la tolérance idéologique, en ce qu’elle suppose et affirme une vérité universelle » (p. 112 et p. 114).
Puissent les actuels débats français consacrés à la bioéthique ne jamais oublier cette vérité fondamentale : la dignité de tout être humain.