"1959, Jérome Lejeune découvre un chromosome supplémentaire sur la 21e paire d’un enfant mongolien. Il en découle une révolution scientifique qui inaugure la voie de la génétique moderne et une révolution humaniste qui change le regard sur les personnes handicapées mentales. Désormais on ne parle plus de mongolisme mais de trisomie 21. Et la médecine se prépare à faire son devoir de toujours : traiter celui qui souffre de la trisomie" (p. 7). Or, comme dans les tragédies grecques, cette découverte scientifique se retourne contre ceux qu’elle devait servir... Où est en effet le progrès scientifique quand les avancées de la génétique servent le dépistage au détriment de la thérapeutique ? Quand 96% des enfants trisomiques dépistés (le test de dépistage est proposé, de manière obligatoire, à toutes les femmes enceintes) sont avortés ?
Car on le sait, l’identification du 3e chromosome sur la 21e paire sert à supprimer le malade plutôt qu’à supprimer la maladie : "ce progrès de la connaissance a produit une régression et a fourni des outils de mort pour se débarrasser des malades dans leur plus jeune âge".
La politique de santé publique à l’égard de la trisomie a été décidée en fonction des coûts du dépistage et du diagnostic prénatal (DPN) comparés aux coûts de la prise en charge des personnes trisomiques tout au long de leur vie. L’étude comparative a conclu que "le poids de leur élimination est mois lourd à supporter socialement que le poids de leur existence". Dès 1999, les coûts du dépistage sont évalués à près de 100 millions d’euros, financés par l’assurance maladie, tandis qu’aucune politique publique de recherche d’un traitement de la trisomie n’est envisagée... Et cette comptabilité présuppose qu’un diagnostic de trisomie 21 soit systématiquement suivi d’un avortement. Or, la femme enceinte est-elle vraiment libre ? Une récente étude de l’Inserm 4 a montré que "la moitié des femmes qui ont accepté une échographie et un test sanguin n’avaient pas conscience qu’elles pourraient être amenées à prendre d’autres décisions : faire ou non une amniocentèse et, en cas de diagnostic avéré de trisomie 21, poursuivre ou interrompre leur grossesse".
Mais on n’arrête pas le "progrès". Un nouveau test de dépistage anténatal devrait bientôt être utilisé dès la 10e semaine de grossesse. Par une simple prise de sang, cette technique, détectera de façon certaine ceux atteints de trisomie et évitera les centaines de fausse-couche dues chaque année à l’amniocentèse (1% des cas). Autrement dit, ce test n’attrapera plus que des trisomiques et les attrapera tous...
Comment l’Etat de droit peut-il se satisfaire de cet eugénisme patent ? Plus encore, quand tous les eugénismes individuels aboutissent à un eugénisme collectif aussi ouvertement planifié par la collectivité, n’est-il pas temps de parler de "génocide" ? C’est le cri d’alarme de Jean-Marie Le Méné. L’article 211-1 du Code pénal français définit en effet le génocide comme "un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d’un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire". La politique française de dépistage ne vise-t-elle pas un groupe déterminé, caractérisé par un chromosome en plus, et n’aboutit-elle pas à la disparition de 96% de ces membres ?
Quel épilogue à cette tragédie ? Il est urgent de trouver des alternatives au "tout dépistage" explique l’auteur. Aussi fait-il des propositions : apprendre aux médecins comment accompagner les familles concernées ; rendre "opposables" les droits de la personne trisomique à être prise en charge, soignée et traitée dans une perspective thérapeutique et donc financer la recherche d’un traitement de la trisomie 21. Comme s’y était engagé, au nom de l’Etat, le professeur Jean-François Mattei dans son rapport de 1996 sur la généralisation du dépistage de la trisomie 21 : "sauf à croire que le choix est fait de l’élimination plutôt que de la compréhension des causes de l’affection dans le but de mieux prévenir".
L’auteur conclut son ouvrage en citant Gaylord, un enfant trisomique de 11 ans, "alors qu’on lui demande où et à quel moment de sa vie il est le plus heureux, voilà ce qu’il répond : « A la maison, tous les matins quand je me lève." (...Et l’auteur termine :) Pour connaitre un épilogue heureux, la tragédie de la trisomie doit trouver ses héros : des hommes politiques qui défendent l’égalité de tous leurs concitoyens, des scientifiques qui revendiquent leur liberté d’esprit, un peuple qui n’attend ni les uns ni les autres pour témoigner d’une fraternité sans exclusive. Le dénouement de la tragédie de la trisomie, entre nos mains, reste à écrire" (pp. 136-137).