Ce « mourir vivant » de Philippe de Maistre fait écho au « vivre en mortel » de Christian de Cacqueray précédemment présenté …tant il est vrai que la mort et la vie sont indissociables. L’objectif de ce livre est justement de rappeler qu’il ne faut pas plus chasser la mort de la vie que la vie de la mort . Pour relever ce défi deux exigences s’imposent :
permettre au mourant de vivre, premièrement jusqu’au bout, et deuxièmement dans toutes les dimensions de son être : corps, âme, esprit.*
Toute la vie consiste à purifier l’Éros pour qu’il se mue peu à peu en Agape, autrement dit à apprendre à se détacher de son égo et du désir de se satisfaire soi même, pour se rendre pauvre, et enrichir au contraire ceux qu’on aime.
Si l’homme extérieur va vers sa ruine l’homme intérieur [ doit se ] se renouvelle[r] de jour en jour… nous rappelle Saint Paul. C’est l’objectif de toute une vie… Et la mort reste le moment privilégié d’ouverture du cœur et l’épreuve de vérité qui met à nu.
Mais le passage reste douloureux… d’une part à cause de ce combat ultime contre l’ego mais aussi par le phénomène de désintégration de l’être : l’âme - sorte d’interface entre le corps et l’esprit - est d’un côté, lâchée peu à peu par le corps, et de l’autre, doit se laisser conduire par l’esprit dans la contemplation obscure ( dont parle Jean de La Croix ) vers le repos éternel.
Il faut donc avoir un infini respect de ces derniers instants où le Kaïros ( le moment favorable ) s’introduit dans le Chronos pour le bousculer et le dépasser.
Lorsqu’on ne peut pas ajouter du temps à la vie il est toujours possible d’ajouter de la vie au temps
Ce Kaïros est l’espace nécessaire à l’éclosion d’une autre vie.
L’euthanasie, prônée par ceux qui pensent que la fin de vie n’a aucun sens, serait en fait comme un avortement de cette nouvelle naissance.
La douleur physique doit bien sûr être combattue et le corps soigné comme un bien précieux.
Le christianisme, religion de l’incarnation par excellence - Dieu lui même ayant pris un corps - a en effet toujours considéré le corps comme étant infiniment digne car promis à la résurrection.
C’est pour cela que l’Eglise a constamment combattu les hérésies gnostiques ou manichéennes qui méprisaient le corps comme étant soit prison de l’âme soit siège du mal.
Être aux petits soins est par conséquent ce qui reste à faire quand il n’y a plus rien à faire, le toucher étant souvent le dernier langage du corps qui mène au cœur, le dernier langage de l’amour… amour dont tout être humain a soif, intensément.
Il y a en effet au fond de chacun une blessure d’amour cachée qui au delà de l’affectif est proprement spirituelle. Par conséquent l’accompagnement médical et psychologique, s’ils sont indispensables, sont insuffisants.
Le réconfort ultime ne peut être que spirituel, le remède à cette blessure ontologique ne peut être que divin.
Ainsi il est bon de prier autour du mourant, de lui proposer les sacrements, signes de la miséricorde de Dieu.
Cela dit, Dieu laisse à l’homme le redoutable privilège de sa liberté jusqu’au bout…
Et selon le mot de CS Lewis : "en somme il y a deux sortes de gens, ceux qui disent à Dieu que Ta Volonté soit faite et ceux auxquels finalement Dieu dit que ta volonté soit faite."
*l’homme vu par les Pères de l’Eglise :
-Corps = Soma -> 5 sens ; il ouvre sur les réalités physiques
-Âme = Psyché -> sensibilité, imagination, intelligence, mémoire, volonté ; elle ouvre sur les réalités psychiques, intelligibles . Elle est le principe vital et unifiant du corps .Elle est l’interface entre le corps et l’esprit
-Esprit = Pneuma -> il est ouverture - au-delà du monde physique ou psychique - sur le monde spirituel. Il est accessible par la contemplation
NB : les termes âme et esprit sont souvent confondus , l’âme - ou cœur - étant souvent désignés comme le lieu de l’expérience mystique.