Claudio Risé, professeur de sciences politiques et de sociologie italien, psychanalyste junghien, n’est pas seulement passionnant, il est aussi profondément chrétien. Aussi montre-t-il combien le père a la responsabilité de révéler dans la famille l’image du Père éternel, rôle magnifique qui allie à la fois l’autorité et l’amour.
“On estime pouvoir grandir sans blessure, sans perte aucune. Et on craint par-dessus tout la dimension verticale, l’orientation vers Dieu (…). Ce qui est certain, c’est qu’on refuse à monter sur une croix. Et en raison de cette aversion de la croix, l’homme n’arrache plus son fils aux bras de sa mère pour l’élever vers le ciel. Les enfants restent à terre, en proie toute leur existence aux seuls besoins matériels. Du reste, la mère qui épouse le style de vie occidental, n’est pas, comme Marie, “aux pieds de la Croix”. A vrai dire, elle ne doit plus beaucoup penser à la Croix. Pour être acceptée socialement, elle doit se consacrer aux dernières tendances de la consommation, à son affirmation dans le monde et à ses plaisirs. Le prix à payer de ce choix de société n’est pas seulement l’abolition de l’expérience de la croix, avec toute la richesse de transformation et de développement qu’elle renferme. Une abolition d’ailleurs imaginaire puisque la croix est inévitable : elle est la vie humaine elle-même” (pp. 15-16).
Il explique également que le père peut être absent tout en étant physiquement présent, car bien souvent personne ne lui a appris à être père…. Et l’émancipation féminine, l’enfant-roi, le divorce, ont fini par saper définitivement sa place et son autorité.
Les ravages sociaux engendrés par cette absence sont considérables : délinquance, criminalité, suicide, mais aussi hyperconformisme, expansion démesurée de la consommation, stratégies du divertissement exagérées, etc… Les enquêtes de l’auteur se font alors très précises (peut être parfois un peu rébarbatives par leurs énumérations statistiques mais toujours fortement éclairantes !). Une société qui a écarté le père pour remettre l’autorité à l’Etat ne peut aller qu’à sa ruine, car non seulement elle élimine tout ancrage de la norme, mais elle est aussi sans amour.
“Tout ceci génère une identité faible : des gens qui vivent dans l’angoisse du provisoire et une sensation de vide, souvent métaphoriquement comblée par l’absorption de substances hallucinogènes (alcools ou drogues). Ou bien par l’adhésion à des croyances également fabriquées, quelles soient politiques ou pseudo-religieuses : c’est le phénomène des idéologies de la modernité (du nazisme au mondialisme) mais aussi des sectes, ou des pseudo-religions du New Age. Ces usurpateurs, confus mais dangereux, d’une place laissée vide par le père” (p.56).
Ses vigoureuses analyses du processus de sécularisation, celle de la Réforme, de la rupture révolutionnaire sont également passionnantes. L’homme “par myopie et par hédonisme, a liquidé ses responsabilités familiales et sociales, et le prestige qui leur était attaché. Il doit maintenant gagner l’affection de sa compagne par sa vigueur sexuelle ou sa surface financière. Ou encore conquérir l’attachement des enfants par la soumission et l’affection qu’ils réclament (même si leur besoin primaire est d’obéir)” (p. 46).
Intérêt également de sa longue critique de la destruction de la famille du fait de “l’industrie du divorce”, dans laquelle le monde juridique, intellectuel et médiatique prend fait et cause pour la femme (ou du moins le croit-elle, car la femme ainsi abandonnée à elle-même est autant victime de la situation que l’enfant ou le père), ou encore des conséquences dramatiques de l’avortement...
Bref, autant de sujets très politiquement incorrects mais sur lesquels il convient d’être de plus en plus éclairé !
“Tout ce livre est “de très mauvais goût”, et ceci sera dit et écrit, au mieux sera filtré pour qu’on en parle le moins possible. Pour qu’on ne vienne pas dire qu’un psychanalyste, qui pratique une science tout autre que pieuse, ou pudique, quelqu’un qui a choisi de rester dans les eaux troubles de la souffrance, des névroses et de la folie, a vraiment raconté ce qui s’y trouve, dans ces eaux. Et qu’il a dévoilé les eaux de l’inconscient, celles qui baignent, brûlant de ses souvenirs, la psyché de la personne qui souffre, et qui sont rouges du sang des enfants venus hanter les rêves des mères et même –mais personne ne le dit jamais- ceux des pères, qui ont consenti en trahissant ainsi leur propre nature et leur rôle de géniteur, à promouvoir le massacre. L’analyste ne doit pas révéler ces choses. Il est même tenu de soutenir le contraire.
Le psychanalyste, comme tous les opérateurs de la psyché, et des adeptes des professions de “soutien” sont plutôt conduits à expliquer que, certes, l’avortement est douloureux, mais que parfois il faut s’y résigner pour sauver l’harmonie du couple, sa propre harmonie, ou son compte en banque. Ce dernier élément est doté d’une grande signification psychologique et mérite le soin de tous les orthopédistes de l’âme (à commencer par le psychanalyste), un élément qui est l’objet de toutes les attentions du bio-pouvoir. Le psychanalyste doit apaiser, rassurer, mettre la blessure au repos. Il est un de ces nombreux acteurs qui occupent, plus ou moins dignement, la place laissée vacante par le père. Et qui vivent de cette fonction” (pp. 106-107).