Pour Michel Desmurget, directeur de recherche à l’Inserm et spécialiste en neurosciences, il ne fait absolument aucun doute : « ce que nous faisons subir à nos enfants est inexcusable. Jamais sans doute, dans l’histoire de l’humanité, une telle expérience de décérébration n’avait été conduite à aussi grande échelle ».
Alors pourquoi les écoles s’entêtent-elles ? L’Education Nationale et les autorités publiques avec ? Uniquement par souci financier. Une tablette coûte tout simplement beaucoup moins cher qu’un professeur. Malheureusement, ou plutôt fort heureusement, une tablette ne remplacera jamais un professeur. Au contraire, loin de transmettre du savoir elle le dégrade, loin de faire progresser, elle entraîne régressions sur regressions… Quant au smartphone, avec ses shoots de dopamine à chacune de ses vibrations (où plaisir éphémère et bonheur durable sont confondus), c’est une véritable plaie, une addiction qui exploite la vulnérabilité humaine. Et les conséquences durant la prime enfance sont encore plus catastrophiques. Les statisticiens appellent cela l’effet Matthieu : « Car celui qui a, on lui donnera et il aura du surplus, mais celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera enlevé » (cf. les explications p. 207).
Voici donc un auteur en colère, ses mots sont durs. Il y a de quoi. Les pouvoirs publics sont parfaitement au courant des dangers des écrans sur la santé publique, éducative et et morale de nos jeunes générations. Inutile de savoir programmer pour tchater sur facebook, instagram ou snapchat, ou encore pour devenir youtuber, c’est « instinctif » et cela ne va pas plus loin. Il n’y a rien de formateur à cela.
Ainsi concernant les écrans domestiques : « la littérature scientifique est claire, cohérente et indiscutable : plus les élèves regardent la télévision, plus ils jouent aux jeux vidéo, plus ils utilisent leur smartphone, plus ils sont actifs sur les réseaux sociaux et plus leurs notes s’effondrent. Même l’ordinateur domestique, dont on nous vante sans fin la puissance éducative, n’exerce aucune action positive sur la performance scolaire. Cela ne veut pas dire que l’outil est dépourvu de vertus potentielles. Cela signifie simplement que, quand vous offrez un ordinateur à un enfant (ou un adolescent), les utilisations ludiques défavorables l’emportent très rapidement sur les usages éducatifs formateurs. » (p. 252).
Concernant les écrans à usage scolaire, là encore la démonstration, puissamment étayée au cours de l’ouvrage par Michel Desmurget, est sans appel : « plus les Etats investissent dans les « techniques de l’information et de la communication pour l’enseignement » (les fameuses TICE), plus la performance des élèves chute. En parallèle, plus les élèves passent de temps avec ces technologies et plus leurs notes baissent. Collectivement, ces données suggèrent que l’actuel mouvement de numérisation du système scolaire relève d’une logique bien plus économique que pédagogique. Dans les faits, contrairement à la doxa officielle, le « numérique » n’est pas une simple ressource éducative mise à la disposition d’enseignants qualifiés et utilisable par ces derniers, s’ils le jugent pertinent, dans le cadre de projets pédagogiques ciblés (…).
Non, dans les faits le numérique est avant tout un moyen de résorber l’ampleur des dépenses éducatives. Il projette l’enseignant qualifié sur la longue liste des espèces menacées. Cet enseignant coûte cher, très cher, trop ( ?) cher. Par ailleurs, il est dur à former et, du fait de la pression concurrentielle de secteurs économiques plus favorisés, il s’avère difficile à recruter. Le numérique apporte au problème une fort élégante solution. Bien sûr, le fait que cette solution se fasse au détriment de la qualité éducative rend le point inflammable et, donc, difficilement avouable.
Dès lors, pour faire passer la pilule et éviter les fureurs parentales, il faut habiller l’affaire d’un élégant verbiage pédagogique. Il faut transformer le cautère digital en une « révolution éducative », un « tsunami didactique » réalisé, évidemment, aux seuls profits des élèves. Il faut camoufler la paupérisation intellectuelle du corps enseignant et encenser la mutation des vieux dinosaures prédigitaux en pétillants (au choix !) guides, médicateurs, facilitateurs, metteurs en scène ou passeur de savoir. Il faut masquer l’impact catastrophique de cette « évolution » sur la perpétuation et le creusement des inégalités sociales. Enfin, il faut éluder la réalité des usages essentiellement distractifs que les élèves font de ces outils » (p. 253).
Beaucoup d’entre vous auront encore en mémoire le formidable éloge que fit Albert Camus, après la remise de son prix Nobel, à son instituteur. Michel Desmurget cite un extrait de cette lettre : « Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé ».
Bref, si Noël 2018 vous avez offert un splendide smartphone à votre enfant ; Noël 2019 faites lui un plus beau cadeau encore : retirez-lui ! Vous n’y arriverez sans doute pas... Alors, au moins, lisez ce livre, que vous soyez parent ou enseignant et faîtes-le lire !