Karol Wojtila est né en Pologne en 1920, ordonné prêtre en 1946, il restera évêque de Cracovie de 1958 au 16 octobre 1978, jour où il est élu pape sous le nom de Jean-Paul II. Il a connu tous les drames du 20e siècle, en particulier le nazisme et le communisme. Lors de ses funérailles, le 8 avril 2005, la foule scandait Santo subito ! Il l’est effectivement devenu depuis le 27 avril dernier, soit à peine 9 ans après sa mort.
Je suis dans les mains de Dieu regroupe deux de ses carnets intimes, rédigés entre 1962 et 1984, et de 1984 à 2003. L’ouvrage couvre donc quarante années de la vie du saint. Le premier carnet, de 220 pages, comporte des notations, principalement prises pendant des retraites. Elles sont largement consacrées au sacerdoce et à sa mission d’évêque. Le deuxième comprend principalement des notes prises pendant les retraites de Carême que Jean-Paul II a suivi au Vatican.
Dans son testament, le pape avait instamment demandé à son secrétaire, le cardinal Stanislas Dziwisz, de brûler ses notes après sa mort. Mais celui-ci a refusé au vu de ce témoignage de sainteté. « Ce sont des textes tellement importants que ce serait un crime de les détruire », car ils révèlent « un fragment de son âme et de sa rencontre avec Dieu. »
Voici en effet un livre d’une rare densité. Il nous permet de mieux connaître l’intimité du cœur de cet Pape immense, tout donné à Marie (très présente aux cours de ses méditations) et son exceptionnel amour de l’Eglise...
Certes, ce n’est pas un livre facile d’accès car, comme son nom l’indique, il s’agit de notes. Les phrases sont donc rarement achevées, on passe d’une idée à l’autre, les développements sont souvent interrompus pour être repris plus tard. L’évêque de Cracovie, puis le Pape, n’a fait bien souvent que prendre en note de ce qui lui paraissait important des conférences écoutées.
Mais, ce qu’il écrit est tout à fait remarquable. Ainsi, par exemple, quand il couche par écrit, juste après son élection, ses réflexions suite à sa visite à son « cher ami l’évêque Andrzej Deskur », paralysé par une attaque cérébrale. On y voit sa profonde humilité et son attachement aux signes de l’histoire. Il revient d’ailleurs bien souvent sur les signes des temps que seuls les chrétiens savent discerner (cf. par expl. pp. 362-363).
"Le 14 octobre, je lui ai rendu visite à l’hôpital, sur le chemin du conclave qui allait désigner le successeur de Jean-Paul Ier. Il m’est difficile de ne pas établir un lien entre le fait que le 16 octobre j’ai été élu et cet événement survenu trois jours plus tôt. Pour moi, le sacrifice d’Andrzej, mon frère évêque, était une préparation à mon élection. par sa souffrance, tout a été placé au cœur du mystère de la Croix et de la Rédemption du Christ. Je trouve une autre analogie avec un événement survenu il y a onze ans. Lors de mon séjour à Rome pour le consistoire qui m’a fait entrer dans le collège des cardinaux, mon ami le P. Maria Jaworski a perdu sa main dans une catastrophe ferroviaire, près de Nidzica. (...) Debitor factus sum... [Je suis devenu le débiteur...]" (p. 194).
Voici un autre exemple, celui d’une page, datée du 5 mars 1979, lors de la première retraite du Pape en tant que tel :
"14. Conférence IV
L’appel à la sainteté - c’est la réponse essentielle à la question "cur Deus Homo ?". Afin qu’en chacun de nous œuvre la sainteté.
La sainteté concrète.
La sainteté, à laquelle est appelé un homme précis dans des conditions et des circonstances précises "nonostante tutto" [malgré tout] (d’après une enquête parmi les jeunes).
C’est une convocation, qu’il convient de prendre « pour soi » (c’est moi qui suis convoqué, Christ veut travailler en moi et avec moi cette sainteté concrète et unique).
Caractères de sainteté selon les besoins contemporains : 1) caractère « humain », 2) caractère personnel, 3) caractère « ecclésial ».
Après le Concile de Trente, comme aujourd’hui, l’appel à la sainteté se entendre davantage.
Une pastorale tournée vers la « médiocrité » ne suffit pas.
15. Ador. SS-mi
16. Conférence V
L’appel à l’Apostolat
- "Messis multa« [ »la moisson abondante"] : la situation du monde inquiétante à plusieurs points de vue, la situation de l’Eglise : le mal est entré dans les temples.
- La nécessité des apôtres : des séminaires ! mais ce sont la famille, la paroisse et l’environnement qui doivent devenir des séminaires.
L’apostolat des laïcs comble le manque de prêtres (communauté de base).
- La racine et les branches vivent d’une seule vie.
17. Ros. Benedictio eucharistica" (p. 197).
Enfin, voici un dernier exemple :
"Et voici le Christ « qui fait pénitence » : Il se livre à l’humanité et à la Croix : « il se dépouille lui-même, acceptant »un rang de serviteur« comme cela avait été prédit par les chants sur »le Serviteur de Yahvé« (!) : »Il se dépouille lui-même, alors qu’il était égal de Dieu« : il rejette tout ce qu’il »avait« , pour rester celui, Qu’Il »était" : l’Amour.
La Croix -un « renversement » total des notions et des valeurs dans le monde.
Ce renversement a trouvé un écho en Saul - Paul : « Tout m’est déchet... pourvu que je puisse avoir le Christ »-
L’homme cède souvent à la tentation de diviser Dieu et Serviteur, Croix et Gloire. Le IVe évangile unit pleinement l’un et l’autre : Dieu « démissionne » de toute autre gloire que celle, unique, d’être Amour !
Etre le Don qui vivifie.
Dans ce sens-là, le Christ est « plus que Jonas ».
Il faut que nous cherchions précisément cette ressemblance avec Lui !" (p. 365).
Tout au long de sa vie, mais surtout au moment de sa mort, le Christ lui-même accomplira en Jean-Paul II ces derniers propos, qui sont autant de promesses.
Bref, si l’ouvrage est splendide, sa lecture n’est pas aisée pour tout un chacun, par sa masse d’abord mais surtout par son mode d’écriture. Souhaitons donc que de ce riche volume, un spécialiste tire un ouvrage plus petit, mais plus digeste, afin que la profondeur de l’âme du Pape soit plus facile d’accès à qui voudra en nourrir sa prière et sa méditation.