"Tu as volé mon cœur, ma sœur, mon épouse, tu as volé mon cœur par un seul de tes regards..." (Ct 4, 9)
Tu a volé mon cœur pourrai aussi se traduire par « tu me fais perdre le sens » ... "le verbe hébreu suggère que l’épouse atteint le cœur du Bien-Aimé : atteindre le cœur de Dieu, quel mystère étonnant ! Aller jusqu’à lui faire perdre le sens, quelle folie ! Dans l’Evangile selon saint Marc, il est écrit au sujet de Jésus qui n’a pas le temps de manger à cause de la foule qui le presse : Les siens (...) partirent pour se saisir de lui, car, disaient-ils : il a perdu le sens (Mc 3, 21). Sans le savoir, les proches de Jésus le désignent comme le Bien-Aimé du Cantique : quand il voit la foule, il est fou d’amour pour elle, son cœur est touché et il ne peut que se donner sans compter, il perd le sens. A propos de cette folie d’amour sainte Thérèse de l’Enfant Jésus écrit à sa sœur Céline : « Le seul crime qui fut reproché à Jésus par Hérode fut celui d’être fou (Lc 23, 11) et je pense comme lui ! ... Oui, c’était de la folie de chercher les pauvres petits cœurs des mortels pour en faire ses trônes, Lui le Roi de Gloire qui est assis sur les chérubins (Ps 80, 2), Lui dont présence ne peut remplir les Cieux (1R 8, 27). Il était fou notre Bien-Aimé, de venir sur la terre chercher des pécheurs pour en faire ses amis, ses intimes, ses semblables, Lui qui était parfaitement heureux avec les deux adorables personnes de la Trinité ! » " (Claire Patier, Le Chant du Bien-Aimé, un chemin de vie spirituelle, Lecture commentée du Cantique des cantiques, ed. Le Livre ouvert, 2000, 15 euros, pp. 110-111).
On l’a dit, l’Eglise invite en temps pascal ses nouveaux catéchumènes mais aussi l’ensemble de son peuple à se plonger dans le Cantique des cantiques. Le livre sans doute le plus merveilleux de la Bible, un livre qui n’a pas volé son superlatif : le plus chargé de l’amour de Dieu pour son peuple, pour chacun de nous. Mais c’est aussi l’un de livres les moins lus de la Bible et quasiment jamais proclamé dans la liturgie. La tradition juive affirme pourtant que s’il n’y avait pas eu la Torah, le Cantique aurait suffit, aussi est-il largement commenté par les rabbins et ouvre-t-il chez certains chaque sabbat.
Car ce court poème, qui a été composé dans la foi, ne peut-il être lu que dans la foi (Marc Bot, p. 24).
"Ne donnez pas vos perles aux cochons« dit Jésus (Mt 7, 6) et Saint Bernard de Clairvaux, qui a écrit d’extraordinaires sermons sur ce chant, renchérira. Dès son premier Sermon il prévient : »Il faut vous dire, mes frères, d’autres choses qu’aux gens du monde, ou au moins il faut vous les dire d’une autre manière. Pour eux, si on veut suivre la forme d’enseignement que l’Apôtre a prescrite (II Cor. III, 2), on ne doit leur donner que du lait, non de la viande. Il nous apprend lui-même, par son propre exemple, à présenter une nourriture plus solide aux personnes spirituelles lorsqu’il dit : « Nous ne parlons pas un langage plein de la science et de la sagesse humaine ; mais conforme à la doctrine de l’Esprit-Saint, réservant les choses spirituelles pour ceux qui sont spirituels (I Cor. II, 13). Et ailleurs Nous ne tenons des discours sublimes et élevés qu’avec les parfaits (Ibid.), » tels que vous êtes, mes frères, du moins j’aime à le croire, si ce n’est pas en vain que depuis si longtemps vous vous occupez à une étude toute céleste, vous vous exercez à connaître la vérité, et méditez jour et nuit, sur la loi de Dieu. Préparez-vous donc à être nourris, non de lait, mais de pain. Il y a dans Salomon un pain, mais un pain très-blanc et délicieux, je veux parler du livre qui a pour titre : le Cantique des cantiques. Qu’on le serve si vous le voulez bien, et qu’on le rompe." (Sermon 1, 1).
Si ce merveilleux livre exige certainement être introduit, car tant d’insanités ont été proférées à son propos, il serait dommage de le réserver à « une minuscule élite d’initiés » (Marc Bot, p. 24).
Aussi l’Eglise, et nombreux de ses grands saints, nous propose-t-elle de magnifiques commentaires ou homélies sur ce chant nuptial, depuis Origène, Saint Grégoire de Nysse, mais aussi Saint Jean de La Croix, avec son Cantique spirituel, Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et même Saint Jean-Paul II... Tous sont d’une grande profondeur théologique et nous invitent à une profonde union avec Dieu, sans oublier notre incarnation. Le tout premier d’entre eux, qui mérite que l’on s’y plonge avec délice est : La Cantate de l’amour, lecture suivie du Cantique des cantiques du père jésuite Blaise Arminjon (DDB, 1983). Tous les auteurs suivants s’en inspire abondamment. Tel ce tout récent ouvrage : Retraite sur le Cantique des Cantiques : par Christian de Chergé, prieur des moines de Tibhirine (un court ouvrage où il y a à prendre et à laisser).
Mais ce sont deux autres livres qui ont retenu notre attention car accessibles tout en étant fidèles à la tradition ; celui de Jean-Marc Bot : Le plus beau poème d’amour, une lecture spirituelle du Cantique des Cantiques aux Editions de l’Emmanuel, 1994 et l’excellent ouvrage déjà cité de Claire Patier : Le Chant du Bien-Aimé. Ce dernier est simple, clair, profond, mariant la tradition juive et celle de l’Eglise. "Le cheminement du Cantique nous amène à répondre à la question : comment passer de la première exclamation : Qu’il me baise des baisers de sa bouche ! à la dernière : Fuis, mon Bien-Aimé !" (p. 15).