Encyclique très profonde : à la suite du Magistère de Paul VI, elle prône un humanisme chrétien, un développement humain intégral qui soit aussi spirituel ; très bien construite : le Pape énumère point par point les étapes de son développement ; très précise et très documentée : qu’il s’agisse de la mobilité du travail (§. 25), de la responsabilité sociale des entreprises (§§. 40 ss.), de l’aide à fournir par les pays riches (§§. 60 ss.), aucun Pape n’était jamais allé aussi loin dans ses propositions concrètes ; extrêmement vaste : par sa taille mais surtout par l’ampleur des points abordés, ainsi, dorénavant, la doctrine sociale de l’Eglise devra aussi comprendre le thème fondamental de "l’ouverture à la vie (...)nous obligeant à élargir les concepts de pauvreté et de sous-développement aux questions liées à l’accueil de la vie3 (§. 28).
Bref, tous les acteurs, des individus aux institutions internationales, sont invités à une véritable conversion, à un profond changement de mentalité. Qu’il s’agisse des « législations contraires à la vie » (§. 28 et §. 44), de la corruption (§. 22), ou encore de l’écologie (§§. 48 ss.), à chaque fois le Pape n’hésite pas à renvoyer dos-à-dos les pays en voie de développement comme les pays riches. Dénonçant continuellement la « conviction d’être autosuffisant » et la croyance de pouvoir vaincre le sous-développement ou la crise en éliminant toute référence à Dieu (§. 34).
« L’amour est tout », car il est Dieu lui-même (§. 2, cf. Deus caritas est). Mais cette fois, ce sont les rapports de l’amour et de la vérité qui guident l’encyclique de Benoit XVI, tous deux ne doivent jamais être séparés. C’est seulement ainsi que la doctrine sociale de l’Eglise peut-être comprise. Celle-ci rend alors service à tout homme en l’éclairant sur des thèmes aussi fondamentaux que la mondialisation, la bancarisation des relations, le développement des medias ou des biotechnologies.
Ainsi le Pape dans son introduction présente-t-il magistralement ces liens de l’amour et de la vérité, inséparables de ceux de la foi et de la raison. « Par son lien étroit avec la vérité, l’amour peut être reconnu comme une expression authentique d’humanité et comme un élément d’importance fondamentale dans les relations humaines, même de nature publique. Ce n’est que dans la vérité que l’amour resplendit et qu’il peut être vécu avec authenticité. La vérité est une lumière qui donne sens et valeur à l’amour. Cette lumière est, en même temps, celle de la raison et de la foi, par laquelle l’intelligence parvient à la vérité naturelle et surnaturelle de l’amour : l’intelligence en reçoit le sens de don, d’accueil et de communion. Dépourvu de vérité, l’amour bascule dans le sentimentalisme . L’amour devient une coque vide susceptible d’être arbitrairement remplie. C’est le risque mortifère qu’affronte l’amour dans une culture sans vérité. Il est la proie des émotions et de l’opinion contingente des êtres humains ; il devient un terme galvaudé et déformé, jusqu’à signifier son contraire. La vérité libère l’amour des étroitesses de l’émotivité qui le prive de contenus relationnels et sociaux, et d’un fidéisme qui le prive d’un souffle humain et universel. » (§. 3). Et de dénoncer le relativisme ambiant, ou encore un « Christianisme de charité sans vérité » qui « peut facilement être confondu avec un réservoir de bons sentiments (…) n’ayant qu’une incidence marginale » (§. 4).
A partir de ce principe fondateur, caritas in veritate, le Pape nous offre une magnifique leçon de doctrine sociale de l’Eglise (§. 6), reprenant point par point ses grands principes : la justice, le bien commun, la subsidiarité (§. 57 ss.)…
« Seule la charité, éclairée par la lumière de la raison et de la foi, permettra d’atteindre des objectifs de développement porteurs d’une valeur plus humaine et plus humanisante ». Seule la vérité vous rendra libre… (§. 9). Or, cette vérité exige l’annonce de l’Evangile et de la vie éternelle, ouvre à Dieu (§. 15), sans laquelle « le progrès humain demeure en ce monde privé de souffle » (§. 11). Le Saint –Père n’a en effet pas peur de rassembler dans cette encyclique tous les documents publiés par Paul VI, mettant ainsi en connexion ceux aussi apparemment différents que Populorum progressio, Humanae vitae et Evangelii nuntiandi (§. 15).
La crise mondiale actuelle et le sous-développement sont sans aucun doute dus à un important déficit de réflexion. Aussi, le Magistère de l’Eglise rend-t-il un grand service à l’humanité en proposant « un renouveau de la pensée » (§. 53) et d’importantes pistes de réflexion pour concevoir la mondialisation, la crise mondiale, la place de l’Etat, etc... (cf. à cet égard les analyses des §§. 21 ss.). Mais plus encore, il lui rend service en invitant tous les hommes de bonne volonté, et en leur proposant la force pour parvenir à une véritable fraternité, au don gratuit d’eux-mêmes (§. 19). L’homme, comme les peuples, ne se valorisent en effet que dans la relation entre eux et avec Dieu (§. 53). Or, ils ne peuvent y parvenir seuls.
Car pour être vrai l’amour doit être gratuit : « L’amour dans la vérité place l’homme devant l’étonnante expérience du don : la gratuité... (§.34) ». La charité ne cherche pas son propre intérêt. Dieu nous a aimé le premier, alors même que nous sommes ses ennemis (Rm. 5, 10). Il nous aime d’un amour totalement désintéressé. « Dieu a aimé le monde au point de lui donner son Fils unique (Jn. 3, 16) ». Dans notre monde matérialiste et moraliste où tout se paye, du « donnant donnant » de chaque rapport humain, combien il nous est difficile de croire en la gratuité de l’Amour de Dieu ! Or Lui seul peut nous donner la force d’aimer l’autre gratuitement, c’est-à-dire vraiment. Créé à l’image de Dieu, l’homme ne s’épanouit que dans le don gratuit de lui-même (§.34 ss.).
La mondialisation « représente en soi une grande opportunité. Toutefois, sans l’orientation de l’amour dans la vérité, cet élan planétaire risque de provoquer des dommages inconnus jusqu’alors (...). Il s’agit d’élargir la raison et de la rendre capable de comprendre et d’orienter ces nouvelles dynamiques de grande ampleur, en les animant dans la perspective de cette »civilisation de l’amour« dont Dieu a semé le germe dans chaque peuple et dans chaque culture » (§. 33).
Comme la mondialisation, l’économie de marché, n’est en soi ni bonne ni mauvaise, elle est ce que les hommes en font. Et le Pape à chaque fois de viser « l’homme, sa conscience morale et sa responsabilité personnelle et sociale » (§. 36). C’est l’homme qui oriente souvent de façon négative l’économie de marché. Il est par exemple faux de dire que l’économie de marché a structurellement besoin d’un quota de pauvreté (§. 35). Aussi Benoit XVI invite-t-il à de « profonds changements dans la façon de concevoir l’entreprise » (§. 40) et de lancer de nombreuses pistes concrètes dans ce sens. La mondialisation (§. 44), les biotechnologies (§. 74), le marché... tous ont fondamentalement besoin d’une orientation morale. « En effet, pour fonctionner correctement l’économie a besoin de l’éthique, non pas d’une éthique quelconque, mais d’une éthique amie de la personne » (§. 45), respectueuse de la dignité humaine (§. 46).
Suite à de très beaux paragraphes consacrés à l’écologie, le Pape conclut comme toujours en invitant l’homme à aller plus loin : « Pour préserver la nature, il n’est pas suffisant d’intervenir au moyen d’incitations ou de mesures économiques dissuasives, une éducation appropriée n’y suffit pas non plus. Ce sont là des outils importants, mais le point déterminant est la tenue morale de la société dans son ensemble. Si le droit à la vie et à la mort naturelle n’est pas respecté, si la conception, la gestation et la naissance de l’homme sont rendues artificielles, si les embryons humains sont sacrifiés pour la recherche, la conscience commune finit par perdre le concept d’écologie humaine et, avec lui, celui d’écologie environnementale. Exiger des nouvelles générations le respect naturel devient une contradiction (...) » (§. 51).
Beaucoup d’autres points sont encore longuement abordés par le Saint-Père dans Caritas in veritate (la liberté religieuse, l’éducation, les migrations, le chômage, les finances, etc...). La meilleure chose à faire est donc de profiter de l’été pour s’y plonger, lentement, profondément, afin de nous laisser éclairer, suivant le conseil de Saint Paul : « ne vous conformez pas au siècle présent, mais transformez-vous par le renouvellement de l’esprit, afin que vous éprouviez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait » (Rm 12, 2). Car, « Le monde et la vie et la mort, le présent et l’avenir, tout est à vous ! Mais vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu » (1 Co 3, 22-23 cité en conclusion §. 79).